Comment sortir de nuit sans avoir peur ?
J’ai eu la chance de répondre aux questions de l’athlète élite Eszter Csillag membre de la Pro Trail Runner Association sur comment j’ai vaincu ma peur de sortir la nuit seule. Voici ci-dessous notre entretien traduit en français.
Te souviens-tu de ta première expérience de sortie nocturne ?
C’était il y a longtemps, lorsque je vivais en banlieue parisienne. Je faisais un stage de marketing dans un petit village dans la Drôme Provençale. Je devais marcher 30 minutes sur de jolis sentiers pour me rendre sur mon lieu de travail – je n’avais pas de voiture, étudiante oblige. J’ai dit à mes amis que je ne pouvais pas rester avec eux après le travail parce que je devais rentrer chez moi. Mes amis, très surpris, m’ont demandé pourquoi ? Je leur ai répondu qu’il faisait nuit, donc il était impossible de rentrer seule la nuit. Ils m’ont répondu très surpris « pourquoi donc ?». Mes ami.es comme moi-même étions épris d’un étonnement réciproque. Je leur ai expliqué que tout peut arriver la nuit. Si je rencontre un ou plusieurs hommes malveillants, seule en pleine nature je suis trop vulnérable, cela est beaucoup trop dangereux et je ne souhaite pas prendre un tel risque.
Venant de banlieue parisienne, se faire au mieux accoster au pire agresser faisait partie de mon quotidien dans les transports en commun et cela en plein jour. Alors je n’osais même pas imaginer me retrouver seule face à un homme dans la nuit, sur un sentier loin de témoins ou personnes ne pourraient m’aider.
Mes amis m’ont expliqué qu’ici, en plein milieu des Baronnies, tout est différent des grandes villes. Ils m’ont dit que si je rencontrais quelqu’un pendant la nuit, je lui ferais plus peur que lui me ferait peur. Il ou elle pensera « pourquoi cette femme marche seule dans la nuit et tu deviendras une peur pour l’autre mais toi, tu te sentiras bien ». Je n’avais jamais pensé les choses de cette manière. Il est vrai qu’en banlieue parisienne, il est impensable de sortir seule à la nuit tombée. Mais se dire qu’au lieu d’avoir peur, la seule crainte serait de faire peur aux autres. À moitié convaincue, après plusieurs jours, plusieurs soirées de jeux loupées avec mes amie.s et à la suite de longues réflexions j’ai décidé de rentrer seule chez moi la nuit tombée.
Qu’as-tu ressenti lors de cette première sortie nocturne ?
Lors de ma première sortie nocturne, j’ai eu très peur. Et à chaque fois que j’avais peur, je me répétais inlassablement : « Il n’y a personne, et si tu tombes sur quelqu’un, c’est toi qui vas le surprendre, alors PAS DE PANIQUE ». Et puis je suis rentrée de plus en plus souvent seule le soir, parfois tard. En fin de compte, j’allais tout à fait bien et je me sentais bien. J’avais peur de quelque chose que je ne connaissais pas. Nous avons peur de l’inconnu. Maintenant, ce n’était plus quelque chose que je pouvais redouter, et je me sentais plus libre. La seule peur que j’aie eue, c’est quand je suis tombée nez à nez avec un sanglier au milieu de la nuit. Finalement, je ne sais pas lequel de nous deux a eu le plus peur.
Tu as eu un mentor qui t’a aidé dans ce cap à passer. Il t’a donné des exercices, peux-tu nous en dire plus ?
Oui, c’est vrai. Au même moment, un ami accompagnateur en montagne m’a proposé de marcher dans le noir, sans lampe, pour me sentir plus à l’aise. Au début, je n’ai pas compris où il voulait en venir. L’objectif principal était d’améliorer ma proprioception et mes appuis. Le fait de ne pas voir le sol nous oblige à ralentir et à imaginer le terrain sous nos pieds. C’est un exercice très intéressant et captivant. Et il nous habitue à passer du temps entièrement à l’extérieur.
Comment cette expérience a-t-elle changé ta façon d’être dehors du jour au lendemain ?
En plus d’améliorer ma posture, cela m’a beaucoup aidé à me sentir à l’aise en totale confiance dehors au milieu de la nuit. C’est une expérience qui permet d’apprivoiser complètement la nuit. Être à l’affût du moindre bruit. Essayer d’être le plus discret possible. L’être humain est bruyant. Bien avant la covid-19, nous vivons confinés. Comptez le nombre d’heures que nous passons enfermés entre 4 murs. Nous avons oublié comment faire pour vivre en pleine nature sans occuper tout l’espace terrestre et sonore. Ces expériences nous offrent l’opportunité de développer de nouvelles compétences qui étaient autrefois innées.
Fais-tu exprès de faire de la randonnée ou de courir la nuit ?
Bien sûr, j’adore ça. En hiver, ici en France, les journées sont courtes. Il fait nuit à 16h30/17h, surtout en montagne. Donc pour s’entraîner après le travail ou avant le travail, c’est souvent dans l’obscurité voire la nuit noire. Au-delà de l’hiver, courir ou randonner la nuit est très apaisant. C’est un moment privilégié. Vous avez l’impression que ce spectacle nocturne est unique et qu’il n’est fait que pour vous. En hiver, lorsque le paysage est recouvert de neige et que la lune est pleine, c’est magique. Au-dessus de la forêt, vous n’avez plus besoin de votre lampe frontale… Pour moi, c’est comme une thérapie, c’est tout simplement incroyable. Ce sont des moments immaculés de la vie.
Quels conseils donnerais tu à celles et ceux qui veulent courir la nuit ?
Pour tenter cette expérience, il peut être judicieux de commencer par une sortie en petit comité (évitez de sortir avec un grand groupe) et d’essayer de rester aussi silencieux.ses que possible. Essayez d’écouter les bruits de la nuit. Au début, il est rassurant de partir à plusieurs. On peut se dire : « Bon, si j’étais toute seule, est-ce qu’il me serait arrivé quelque chose ? ». C’est une bonne question à se poser pour réaliser et se prouver que rien de dangereux n’aurait pu vous arriver.
Ensuite, si vous voulez tenter l’expérience de la solitude, je vous conseille de partir sur un itinéraire que vous connaissez bien. Car la nuit, les perspectives changent. Essayez de vous surprendre en redécouvrant des lieux que vous connaissez par cœur. C’est formidable de se sentir ailleurs. En le faisant de plus en plus souvent, vous vous sentirez de mieux en mieux dehors la nuit. Soyez curieux.se et prenez cela comme un jeu de découverte, comme une nouvelle aventure, une nouvelle expérience à vivre et de nouvelles compétences à acquérir.
Si vous avez la moindre question je serai ravie d’y répondre en public ou en privé.
Belles sorties nocturnes à toutes et à tous.